Dans un contexte où les politiques sociales et culturelles sont de plus en plus soumises à des logiques de performance et de rentabilité, l’évaluation des actions devient un enjeu central. Mais derrière les appels à la transparence et à la rigueur, se cache souvent une volonté de rationalisation, qui peut entrer en tension avec les dynamiques créatives, territoriales et démocratiques du secteur. Notre contribution propose de revisiter les conditions d’une évaluation juste, choisie et constructive, en s’appuyant sur les pratiques de terrain et les aspirations des acteurs sociaux et culturels eux-mêmes.
Évaluer l’action sociale : entre rationalisation, désir et démocratie
Lorsque les pouvoirs publics évoquent l’évaluation dans nos secteurs, ils cherchent souvent — et avant tout — à rationaliser. Derrière les discours sur la transparence et la qualité, se cache une volonté de mesurer, comparer, optimiser : en somme, de rendre l’action lisible selon des logiques de gestion. Cette approche, bien qu’elle puisse répondre à des impératifs budgétaires ou politiques, entre parfois en tension avec les valeurs fondamentales du monde associatif : liberté de création, diversité des formes, ancrage local, expérimentation.
Pourtant, les acteurs de terrain ne rejettent pas l’évaluation en bloc. Beaucoup expriment un véritable désir d’évaluer, à condition que cette démarche respecte leur autonomie et leur complexité. Ce désir se heurte à des obstacles multiples : manque de clarté des critères, peur de la transparence, et confusion entre les types d’évaluation. Il est temps de repenser cette pratique non comme un outil de contrôle, mais comme un levier de qualité, de confiance et de démocratie.
Les obstacles à la transparence
Le désir d’évaluer se heurte à des résistances concrètes. L’une des premières tient à la crainte que la transparence se retourne contre les opérateurs eux-mêmes. Dans un contexte de compétition pour les subventions, certains redoutent que les chiffres — fréquentation, budget, volume d’activité — deviennent des référentiels contraignants, utilisés pour encadrer ou limiter les futurs financements.
D’autres s’interrogent : si l’on affiche les coûts réels, les écarts, les fragilités, ne risque-t-on pas de compromettre la pérennité du projet ? Et si l’on fournit des données trop précises, ne risque-t-on pas de créer la cage dans laquelle le prochain contrat nous enfermera ?
Ces inquiétudes ne relèvent pas du fantasme. Elles posent une question centrale : qui commande l’évaluation, et selon quels critères ?
Le rôle du bailleur public : entre contrôle et confiance
Le financeur public, en tant que garant des biens collectifs, doit s’assurer du bon usage des fonds et du respect des engagements. Cette fonction relève de l’évaluation normative, souvent simple, factuelle, mais peu sensible à la complexité des démarches culturelles.
Au-delà de cette exigence, le bailleur peut aussi s’intéresser à la qualité des prestations. Deux approches s’offrent alors à lui :
- Approche projet : le financeur agit comme maître d’ouvrage, confiant un projet à un maître d’œuvre selon un cahier des charges. Cette logique de livrables peut par exemple réduire la liberté artistique et poser des questions de démocratie culturelle.
- Approche assurance qualité : le financeur ne se considère plus propriétaire d’un produit, mais garant d’un processus. Il s’assure que l’organisation travaille sérieusement, se forme, implique les publics, et mène une démarche réflexive. Ici, le résultat importe moins que la rigueur du cheminement.
Cette seconde approche, plus respectueuse de l’autonomie des acteurs associatifs, repose sur un contrat de confiance, mais exige des preuves tangibles d’une démarche professionnelle.
Trois niveaux d’auto-évaluation
Pour les acteurs culturels, l’auto-évaluation peut s’articuler autour de trois axes : le sens, les résultats, et les méthodes.
Évaluer le sens
Il s’agit de questionner les fondements de l’action :
- Pourquoi agit-on ?
- Quelle est la portée sociale, politique ou historique du projet ?
- Les acteurs essentiels sont-ils mobilisés ?
- L’action s’inscrit-elle dans une dynamique de développement durable ou de démocratie critique ?
Cette réflexion permet de relier les projets à leur territoire, à leur époque, à leur public. Elle invite à penser l’impact de nos actions au-delà des chiffres, en termes de valeurs, de cohérence, de pertinence.
Évaluer les résultats
Deux cas de figure se présentent :
- Ex ante : les résultats sont anticipés, les écarts mesurés.
- Ex post : les résultats sont reconstruits après coup, avec le risque de biais.
Mais au-delà des indicateurs, il s’agit de poser les vraies questions :
- L’action a-t-elle été efficace ?
- A-t-elle laissé une empreinte durable ?
- A-t-elle renforcé le lien social ou la démocratie locale ?
Dans certains cas, il est plus honnête de construire un dispositif d’évaluabilité future, plutôt que de tenter une reconstruction artificielle.
Évaluer les méthodes
Enfin, évaluer les méthodes revient à interroger comment on travaille :
- Quelles procédures ?
- Quelle éthique ?
- Quelle relation au public ?
Cette démarche, qui gagnera à être menée en équipe, permet de renforcer la cohérence interne, la professionnalisation et la qualité des interactions.
Vers une culture de l’évaluation choisie
L’évaluation ne doit pas être un outil de contrôle, mais un espace de dialogue entre les acteurs associatifs et les pouvoirs publics. Pour cela, il faut :
- Clarifier les attentes dès le départ
- Définir des critères partagés
- Soutenir les démarches d’auto-évaluation
- Reconnaître la diversité des formes culturelles
En somme, il s’agit de passer d’une logique de rationalisation à une logique de reconnaissance. L’évaluation peut alors devenir un acte de liberté, un moyen de renforcer la qualité, la légitimité et la vitalité des organisations.
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